L'ACCÈS À L'EAU DANS LE MONDE

Dans 30 ans, la moitié des habitants de la planète manquera d'eau. Un colloque des grandes écoles françaises organisé à Paris à la mi-décembre a tenté d'apporter des réponses à ce problème crucial pour le siècle qui débute. L'accès à l'eau potable doit être reconnu comme un droit fondamental de l'humanité.

Lors du forum mondial de l'eau à Kyoto, le président français Jacques Chirac avait proposé que "l'accès à l'eau potable soit reconnu comme un droit fondamental de l'humanité" . Entre l'intention et l'objectif la distance est longue, très longue même. Apporter de l'eau dans les zones rurales n'est jamais très aisé et demande des investissements énormes. Même dans les pays "les plus riches" l'alimentation en eau de certaines habitations isolées est complexe et onéreuse.

Pour permettre une distribution correcte de l'eau dans le monde il faudrait, selon le Conseil mondial de l'eau, investir durant 25 ans au minimum 180 milliards de dollars par an! L'instabilité politique, l'insolvabilité, l'insécurité financière et juridique des pays sont des obstacles majeurs aux investissements étrangers. Les plus grandes firmes spécialisées dans le domaine de l'eau sont susceptibles d'investir lourdement dans des pays émergeants mais là comme ailleurs, il est indispensable que ces firmes puissent travailler avec des règles claires et durables. Or ces conditions ne sont que rarement réunies! Ici c'est l'instabilité politique, la guerre parfois, ailleurs c'est la crise économique qui fait hésiter ou reculer les investisseurs qui paient un lourd tribut en raison d'événements qu'ils ne maîtrisent pas. Rien n'est facile et pourtant beaucoup demeurent convaincus que l'accès à l'eau devrait être un lien solide dans les relations Nord - Sud.

Faut-il donner l'eau gratuitement? Non répond Henri Proglio, PDG de Veolia Environnement. L'eau n'est pas un bien naturel, c'est une ressource et "la notion de gratuité est synonyme de gaspillage partout dans le monde" . En revanche Henri Proglio estime que "des facilités doivent être données afin que les plus pauvres n'acquittent qu'un prix réduit" . Il faut faire jouer la solidarité entre les consommateurs. Par exemple, au Niger, Veolia Environnement a signé un contrat d'affermage pour 10 millions d'habitants. Elle va investir 5,5 millions d'euros dans le cadre de la Société des eaux du Niger dont elle détient 51 %. Veolia procède avec le personnel et les installations en place. Un programme de formation est lancé, l'investissement est conforté par des fonds mondiaux, la technologie apportée par Veolia Environnement et une société de droit public gère l'ensemble. Les tarifs sont bas, mais l'eau n'est pas gratuite (0,17 euro/m3), la facturation régulière ce qui permet d'atteindre des taux de recouvrement identiques à ceux de l'Europe (95 %) et qui apportent une sécurité de la distribution pour l'avenir.

Gérard Mestralet (groupe Suez) a un discours voisin. Pour lui, la distribution de l'eau passe par de nouvelles méthodes de gestion englobant la participation des communautés locales, les financements privés et les fonds multilatéraux et aussi le respect d'un ordre juridique. Suez a alimenté en eau 7 à 9 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté. Suez fait jouer la solidarité, comme par exemple au Maroc, entre ville et campagne (les urbains participent aux investissements dans l'ensemble du pays), entre populations (les riches paient plus, les pauvres moins.

L'eau dans le monde

La demande va-t-elle dépasser l'offre?

Entre 1950 et 1990, le taux de croissance des prélèvements en eau a été plus du double de celui de la population. Au total, il a été multiplié par six depuis le début du siècle.Corrélativement, la quantité d'eau douce renouvelable et disponible est passée, par habitant, de 17 000 m3 en 1950 à 7 500 m3 en 1995 et devrait tomber à 5 100 m3 en 2025. Dès 2030, la demande en eau pourrait dépasser l'offre.

Les pertes

Aux pertes naturelles dues à l'évaporation mais qui peuvent être accentuées par certaines infrastructures (les retenues artificielles) ainsi que par certaines méthodes d'irrigation, il faut ajouter les gaspillages et les fuites : avec les raccordements sauvages, ces derniers peuvent affecter, à l'exemple de l'Amérique Latine, 40 % du réseau.

Les pollutions

La proportion de l'eau disponible mais polluée ne cesse de croître, surtout du fait de l'évolution des modes de production dans l'industrie et l'agriculture, ainsi que de l'urbanisation croissante. Dans les pays développés, certaines nappes souterraines grouillent de substances chimiques. La situation est encore plus dramatique dans les pays en développement.

A la fin des années 80, la concentration en mercure des eaux du Kelang, en Malaisie, était si élevée qu'on avait proposé de les mettre en bouteille pour s'en servir comme pesticide. Ici où ailleurs, on a enregistré des taux de pollution des cours d'eau de 30 à 100 fois supérieurs au niveau admis.

Pertes et pollutions

Dans les villes dites modernes, les eaux pluviales (les eaux de pluie tombant en milieu urbain sur des surfaces non perméables) au lieu d'être utilisées pour l'entretien urbain sont recueillies dans des canalisations et directement déversées dans le milieu naturel, chargées de métaux, d'hydrocarbure et autres substances polluantes. Rien qu'en France, le traitement des eaux pluviales nécessiterait un investissement estimé à 100 milliards de francs. Au niveau mondial, les investissements nécessaires ont été évalués à près de 600 milliards de dollars (plus de 3 000 milliards de francs) dans les dix ans à venir, dont :

- 500 milliards en provenance des Etats eux-mêmes
- et 100 milliards fournis au titre de l'aide étrangère, pour moitié par le biais de la Banque Mondiale.